José Mujica et l'inégalité
Soumis par José le lun, 11/09/2017 - 11:04
Interview de José Mujica sur l'inégalité (questions en anglais, réponses en espagnol, traduction en français ci-dessous)
Traduction des réponses de José Mujica
Question 1
José Mujica - « La pire des pathologies du monde actuel c'est la tendance croissante à l'inégalité. Une multiplication importante de la richesse, de la technologie, de l'accumulation et une croissance des disparités, dans toutes les sociétés, avec une partie de l'humanité qui est laissée dans le caniveau.
L'économie de marché montre que, s'il n'y a pas une intervention de régulation forte de la part des pouvoirs publics, l'économie peut croître mais elle fait croître en parallèle l'inégalité. La richesse augmente et le nombre de prisonniers aussi. Mais dans les pays qui ont le modèle scandinave, comme la Suède, il faut fermer des prisons parce qu'il y a peu de personnes emprisonnées. Or, ce sont les pays les plus égalitaires, ceux qui redistribuent le mieux, qui connaissent le moins de délinquance. Cela ne peut pas être une coïncidence. Je ne veux pas prétendre avec cela que toutes les formes de délinquance sont la conséquence de l'inégalité. Mais l'inégalité construit des frustrations.
Le monde s'est globalisé. Nous ne pouvons plus considérer que les pauvres d'Afrique sont d'Afrique. Ils sont du monde. Et ce qui se passe en Amérique n'est pas le problème des latino-américains, c'est le problème du monde.
L'humanité a les connaissances, les compétences et les ressources. Nous dépensons, dans le monde, 2 milliards de dollars en dépenses militaires. Deux millions de dollars par minute. C'est une fortune ».
Question 2
José Mujica - « La concentration des richesses va avec la concentration du pouvoir politique, indirectement. Parce que les grands noyaux qui concentrent la richesse obtiennent des décisions politiques qui gèrent la répartition des richesses et du travail dans la société. La concentration du pouvoir économique est la négation des droits élémentaires de la démocratie. On ne gouverne pas avec le sens de l'équité mais bien plus en faveur des intérêts des plus puissants. Et cela, en contrepartie, accroît la tendance à la concentration.
Par exemple, on peut le voir avec les politiques fiscales. On a l'impression que faire payer des impôts aux plus riches est dangereux et négatif. Quel est le sens de cette accumulation de richesse ? Personne ne peut s'acheter davantage de vie que celle qu'il a. Quel est le sens d'une telle accumulation ? Et nous n'avons pas assez de ressources à dépenser en actions utiles à l'humanité ?
Nous pouvons créer de nouvelles rivières, nous pouvons transformer le climat des déserts, tous les désastres causés par l'homme peuvent être inversés par notre investissement. Si les Chinois ont été capables de construire une muraille de plus de 3.000 km il y a des milliers d'années, avec du travail esclave, l'homme d'aujourd'hui est capable de rendre le Sahara habitable. Mais pour cela il faut investir les ressources en faveur de la vie au lieu de les détruire comme on le fait ».
Question 3
(À propos de la culture nord-américaine)
José Mujica - « Les Romains avaient le « pain et le cirque », ce n'est pas par hasard. Bien sûr, chaque Nord-Américain aspire à devenir riche. Son échelle de valeurs se calque sur celle de ceux qui ont le plus de pouvoir et de capacité de domination. Il ne se regarde pas au miroir de ses égaux. Ce n'est pas un problème spécifique aux États-Unis, mais un problème du monde.
Au Brésil, ils ont réussi à sortir de la pauvreté 40 millions de personnes, qui se retrouvent aujourd'hui dans l'échelle des classes moyennes. Quand on fait des enquêtes auprès de ces personnes, ils répondent « c'est dû à mes mérites personnels, c'est la conséquence de mes croyances religieuses ». Un petit nombre de personnes disent que ce peut être la conséquence des mesures politiques promues au Brésil [il parle de la période Lula]. Les gens ne font pas la relation [entre les politiques suivies et les modifications de leur niveau de vie]. Parce que la domination, ce n'est pas un problème de forces armées, mais la conséquence d'une force brute : c'est un problème d'idéologie qui influence la pensée commune, courante, des gens. Ce qui est promu par les médias donne ce résultat.
Les gens finissent, parfois, par donner leur vote à des personnes très différentes de ce que peut être la défense de leurs propres intérêts ».
Les liens dans le texte des réponses de José Mujica sont des ajouts qui mènent vers des billets de ce blog qui apportent un éclairage aux propos.
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