Le choc de la libéralisation

Avec le gouvernement actuel, il n'y a pas que le montant des APL qui baisse. Les impôts baissent aussi, de 11 milliards. 11 milliards au total, si on tient compte des hausses de 2,6 milliards (tabac, fiscalité écologique) et des baisses par ailleurs de 13,5 milliards. Sur ces 13,5 milliards de baisses des impôts, certaines ont été décidées par le gouvernement précédent : 4,5 milliards pour les entreprises (taux du CICE qui passe de 6 à 7 %, crédit d'impôt sur la taxe sur les salaires qui baisse d'un demi-point). Le gouvernement y ajoute 7 autres milliards : une baisse du prélèvement forfaitaire unique sur le capital, la suppression d'une première tranche de taxe d'habitation et la suppression de l'ISF, l'impôt sur la fortune, 3 milliards chacune.

1% comblés

On voit bien que ces baisses d'impôts vont se répartir très inégalement sur la population assujettie. La hausse du prix du tabac ou la fiscalité écologique ne tiennent pas compte des revenus des personnes. L'une et l'autre pèseront proportionnellement davantage sur les plus modestes et représenteront un effort négligeable pour les plus aisés. La suppression de l'ISF, qui concerne relativement peu de monde, est d'un gros rapport individuel alors que la baisse de la taxe d'habitation, pour le même montant, mais qui concerne énormément de monde, va avoir un impact insignifiant sur chacun.

Comme le dit le journal Libération « les 10 % des Français les plus aisés vont concentrer 46 % des baisses d’impôts prévues sur le quinquennat » et, pire encore, « c’est même le dernier centile (les 280 000 ménages les plus riches, soit 1 % de la population) qui devrait être particulièrement choyé ». Ces baisses d'impôts ainsi ciblées sont faites au nom de la « théorie du ruissellement ». Un ruissellement que l'on constate, effectivement, dans toutes les politiques mondiales, mais qui se produit dans le sens des la spoliation des plus pauvres vers l'accroissement des fortunes des plus riche (voir les billets « L'extraordinaire croissance de l'inégalité en Amérique » et « 8 personnes possèdent autant que la moitié la plus pauvre de l'humanité »).

Le journal Le Monde montre que la suppression de l'ISF, avec l'objectif avoué de favoriser l'investissement, va, en réalité, favoriser la rente. Que comprenait l'ISF ? « On comptait notamment les propriétés (maisons, appartements, terrains, etc.), les placements financiers, les liquidités (espèces, comptes courants, etc.), les meubles, les véhicules, les chevaux de course, les bijoux… ». Désormais, avec l'impôt de « remplacement », l'IFI, seuls seront considérés les biens immobiliers, mais avec une forme de calcul qui privilégie aussi la capitalisation, en particulier au travers de la résidence principale. Le calcul effectué par Le Monde est explicite.
 

99% maltraités

Or, l'ensemble des biens désormais exclus de l'IFI - notamment les biens de prestige - sont des placements à fort rendement, comme les meubles anciens, les voitures de collection, certains bijoux ou encore les œuvres d'art. Capitaliser dans ces objets ne provoque aucun ruisselement de la fortune vers l'économie, mais bien un ruissellement depuis l'économie réelle vers la captation et le stockage de valeur.

Mais on ne peut pas baisser les impôts et maintenir les dépenses, quelqu'un doit être impacté par la baisse des budgets. Nous avons eu droit à une comédie autour du budget de la Défense, mais plus concrètement c'est la vie quotidienne de millions de personnes qui empire. On le verra avec la baisse, qui n'est pas symbolique quant on compte à l'euro près, des APL, de la CSG sur les retraités ou encore celle de la réduction drastique et brutale des contrats aidés : c'est le bas de l'échelle qui prend les coups, et des coups d'autant plus grands que l'on se situe plus bas. Les ordonnances modifiant le Code du Travail permettront de peser à la baisse sur les salaires, comme le montre cet article de l'Express, très pédagogique.

L'influence du néolibéralisme de l'école de Chicago

Il y a une idéologie derrière ces mesures, à mettre en parallèle avec d'autres initiatives gouvernementales. Cette idéologie me semble très proche des économistes de l'école de Chicago qui ont influencé aussi bien Reagan que Thatcher. Ces politiques se traduisent par 5 points, systématiques, pour cette école :

  • coupes budgétaires, (voir ici aussi)
  • baisse des impôts, comme indiqué ci-dessus,
  • désengagement de l'État notamment dans l'industrie,
  • dérégulation du marché du travail,
  • une politique monétaire stable pour éviter l'inflation.
Cette politique monétaire est celle suivie par la BCE, le désengagement de l'État dans l'industrie a été accéléré sous Sarkozy et sa poursuite est à l'ordre du jour du gouvernement. Les coupes budgétaires et les baisses des impôts ont déjà été réalisées à différentes reprises mais, pour ce qui est des coupes budgétaires, elles prennent une ampleur particulière en ce moment (y compris pour les collectivités locales). Les baisses d'impôts profitent d'abord aux plus aisés. La cerise sur le gâteau est la libéralisation des règles concernant le travail, matérialisées par la destruction progressive de nombre de conquêtes sociales, codifiées dans le Code du Travail, initiée avec les ordonnances Macron en cette rentrée 2017.
On nous a seriné à longueur de médias le « changement », le « pragmatisme » et la « modernité » représentés par ce gouvernement et ce nouveau président.  En réalité nous sommes de plain-pied dans les théories de l'école de Chicago et de Milton Friedman, sous une forme édulcorée mais explicite, dont les conséquences sont analysées par Naomi Klein dans sa  « stratégie du choc ».
C'est un monde «  nouveau » pour nous à défaut d'être moderne, celui qui conçoit chaque individu comme une entreprise, acteur et sujet de la loi de l'offre et de la demande, concurrent et adversaire de tous les autres, dans un marché du travail sans règles, ou minimalistes. Un monde où l'on verra se creuser les inégalités de manière inouïe, un monde dont la violence ira grandissant, alimentée d'abord par la violence symbolique que cette idéologie néolibérale exacerbe, un monde de chômage et de précarité.
 
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