Voici un numéro 10 un peu chargé, long comme un jour sans pain, il n'y en avait pas eu depuis le 19 septembre.
Nous avons vécu les soubresauts, pas encore terminés, de la pseudo déclaration d'indépendance de la Catalogne qui ont été l'occasion de partager sur Facebook plusieurs articles de la presse espagnole d'une exceptionnelle qualité. Pourquoi partager des articles en espagnol ? Parce que, comparativement, les publications en français sont généralement d'une médiocrité approximative qui contraste avec la lucidité péninsulaire. 
Mais quel rapport entre la Catalogne et le thème du blog, l'inégalité ? C'est le jeu politique, divertissement médiatique où, comme le dit Juan Perro, "quand on agite les drapeaux, on enfume la pensée". Toute la construction de l'inégalité se base sur ce jeu de manipulation et de prestidigitation où l'on agite de la main gauche une marionnette qui détourne l'attention des agissements de la main droite. 

Culture générale

• « Sauver le genre humain, pas seulement la planète » -  un article du Monde diplomatique, en accès libre, qui recentre la préoccupation sur l'humanité alors que la COP23 débat de la planète. Clairement, elle n'a pas besoin de nous. La question est donc celle de l'humanité que le système en œuvre malmène et détruit avec les mêmes règles, la même constance et la même application que celles qui abîment notre cadre de vie. Lucien Sève revient en particulier sur les méthodes d'exploitation des êtres humains, objets et ressources.

• c'est au cours des 6.000 dernières années que les européens sont devenus blancs, mais le gêne qui permet l'éclaircissement de la peau est déjà présent chez les africains et les Mélanésiens (en anglais)

• Frémir, plutôt que réfléchir. « Des émissions de divertissement à l’actualité médiatique en passant par les discours politiques, le recours à l’émotion est devenu l’une des figures imposées de la vie publique. Si les émotions, positives ou négatives, enrichissent l’existence, cette forme d’expression peut poser de redoutables défis à la démocratie lorsqu’elle se fait envahissante et tend à remplacer l’analyse ».  Anne-Sophie Robert analyse dans ce billet, publié en 2016 dans le Monde diplomatique, la mise en place d'une « stratégie de l'émotion ». Elle nous explique que « On “tweete”, on “gazouille” à tour de bras. Se dégradent le sens critique, la culture, la recherche de la vérité. On “balance” ». L'utilisation de ce terme dans cet article de 2016 le relie fortement aux événements récents.

À propos de la Catalogne 

• « La crise catalane est née à Madrid » - article du Monde diplomatique qui situe l'évolution politique de la situation en Espagne, les jeux de rôles mutuels des indépendantistes et du Parti populaire (au pouvoir) et la manière dont ils se renforcent mutuellement, alliance contre-nature qui sert les visées politiques particulières des deux adversaires. Article en français, en accès restreint réservé aux abonnés (me demander pour avoir le PDF).
• Non, il n'y a pas eu de proclamation de la République en Catalogne, contrairement à ce que raconte la presse française. C'est une fanfaronnade. C'est d'ailleurs pour cela que la répression mise en œuvre par le gouvernement Rajoy apparaît disproportionnée et anti-démocratique. En espagnol.
• « Cuando las banderas se agitan sobre las cabezas, el pensamiento se esfuma de inmediato » - c'est une interview de Juan Perro, philosophe et musicien, dans la rubrique "culture" du journal Público. À partir de l'analyse des métissages musicaux vécus par la Péninsule ibérique il revient sur l'idéologie de la « limpieza de sangre », qui, après la Reconquista d'Isabelle la Catholique, a créé les fondements des discriminations et des ségrégations modernes pour situer ce double mouvement qui, par la "purification" mène aux autonomies et aux indépendantismes et les caractéristiques particulières de la Péninsule qui en font un lieu d'échange dans le bassin méditerranéen mais, au-delà, un espace de métissages mondiaux. « Ceux qui s'enthousiasment avec les nationalismes de pureté génétique ne savent pas ce qu'ils disent » - dit-il.  Pour Juan Perro, ce qui est vrai dans la société l'est aussi dans la musique, qui reflète le monde où elle est produite.
• Les cartes qui désinforment. Les cartes qu'on nous propose dans les médias illustrent le sérieux avec lequel l'information est traitée. Lorsque les cartes mentent, quel crédit donner au journal qui les produit ? Un journaliste de Público a compilé une série de cartes présentées comme explicatives, à l'occasion de la crise catalane mais pas seulement, qui sont édifiantes par la vision erronée du monde qu'elles comportent, et qui sautent aux yeux sans demander une culture personnelle de haut niveau. Les commentaires sont en espagnol, mais les cartes sont suffisamment parlantes en elles-mêmes.

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Féminisme et anarcho-féminisme

• Mujeres Libres et Virginia Bolten

  Pourquoi aborder dans ce blog des mouvements syndicaux et féministes ? Aussi bien ce qu'a initié Virginia Bolten au XIX^ème siècle que ce qu'ont fait les femmes de Mujeres Libres bénéficie d'un questionnement lié à leurs origines libertaires, que les autres féminismes ne portent pas de la même manière. Plus que la question de la liberté, les libertaires ont fait la critique de l'autorité. La perception particulière des trois éléments liberté - égalité et autorité par les libertaires conduit à des approches très différentes des autres féminismes qui n'ont pas pris en compte l'aspect de l'exercice de l'autorité, se concentrant sur la liberté des femmes ("mon corps m'appartient") et sur l'égalité (« La femme a le droit de monter à l’échafaud ; elle doit avoir également celui de monter à la tribune » - dit Olympe de Gouges).
  La question de l'autorité pose, elle, la question du rapport des sexes. On dit que l'égalité le pose aussi, mais non, pas de la même manière. Lorsqu'on parle d'égalité, il est sous-entendu qu'il s'agit de l'égalité des droits, les droits civiques, les droits civils, les droits légaux - c'est le sens de la déclaration d'Olympe de Gouges. Ce que mettent en évidence les anarcho-féministes c'est que la situation de la femme, sa situation réelle, vécue et quotidienne, dépend davantage de la structure sociale que des droits affichés, qui peuvent être écrits et rester virtuels. Nous le vivons concrètement encore aujourd'hui où la loi punit les discriminations mais n'empêche pas que les femmes soient moins payées que les hommes, moins représentées en politique malgré la parité et davantage présentes dans tous les indicateurs de précarité.
  Virginia Bolten a résumé la situation par un slogan : « Ni dios, ni patrón, ni marido » (ni dieu, ni maître, ni mari), qui n'était pas un refus des hommes, mais une interrogation sur le patriarcat, la structure sociale qu'il impose, le jeu de rôles qui définit ce qu'est un "vrai" homme, une "vraie" femme et les positions respectives de chacun. « Il n'y aura pas de révolution pour les femmes, il n'y aura pas de vraie égalité ni de vraie liberté, tant que persistera le patriarcat » disaient ces femmes libertaires. Peut-il même y avoir révolution sans cette révolution-là ?

Une vidéo sur le mouvement Mujeres Libres, fédération de la CNT en 1937, à l'occasion des 80 ans du mouvement :

Et un film sur Virginia Bolten, qui situe parfaitement la situation de la femme dans la deuxième moitié du XIX^ème siècle :

 

 

• « Le Néolithique, la violence et l'inégalité » -  l'espèce humaine n'est pas naturellement violente envers ses membres. Les situations de conflits, de meurtres, de guerres, de hiérarchies et autres violences physiques et symboliques sont d'apparition récente dans notre histoire. Présentation à partir des livres de Jean-Paul Demoule, historien, et Marylène Patou-Mathis, paléo-anthropoloque

 

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• J'adore le street art. Il y a, aussi bien dans les fresques monumentales que dans les détournements de panneaux signalétiques ou de mobilier urbain, une créativité, une fraîcheur, parfois un sens social, qui ne laissent pas indifférent. Le sentiment, l'âme, sont touchés avant l'intellect et l'un et l'autre s'alimentent. La force de l'expression ne demande pas une compréhension raisonnée, elle s'adresse directement au ressenti. Le street art me provoque une sensation de joie enfantine, suivez ce lien pour profiter de quelques réalisations autour de la planète.
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Et pour continuer sur l'inégalité fondamentale, une question essentielle : les 15 cm qui permettent aux hommes d'atteindre l'étagère du haut plus facilement que les femmes, sont-ils dûs à la sélection naturelle ou à domination masculine ?

Pourquoi les femmes sont-elles plus petites que les hommes ? - ARTE

• Facebook m'a censuré deux fois. Une première fois au mois d'août, à propos d'un billet intitulé « Théoriser la différence pour construire l'inégalité », compte-rendu du livre de Marylène Patou-Mathis Le sauvage et le préhistorique. Une deuxième fois début novembre, à propos d'un compte-rendu de lecture du livre de Brian Hayden Naissance de l'inégalité. Ces censures automatiques, faites par des robots, posent la question des formes à venir de contention et de répression de la pensée, question que j'ai abordée à la suite de la censure du mois d'août, dans ce billet intitulé « La robot-censure ».

• Qu'est-ce qu'un territoire ? Pourquoi y met-on des frontières ? La crise catalane m'a amené à me poser cette question. C'est une question ouverte, dans ce billet appelé à évoluer car les appropriations territoriales d'une part, les identifications de groupes à des territoires d'autre part et enfin, la délimitation du territoire lui-même, circonscrivant une structure de pouvoir, un espace interdit pour les uns et un espace prison pour les autres, est une question extrêmement récente. Et dont les développements actuels me font peur.

• «  La Naissance de l'Inégalité » - est donc ce livre de Brian Hayden dont la présentation a été censurée par Facebook. C'est une thèse assez curieuse, qui met en avant, dans la construction progressive de l'inégalité, un type de personnalités, qu'on appelle les psycopathes et auxquels l'auteur prête des intentions, dès le Palélithique moyen, de profit personnel et de volonté d'accumulation. À tel point qu'il considère l'art et la culture comme des marqueurs, depuis 100.000 ans, de mise en place de structures inégalitaires dans certaines sociétés. Si les exemples issus du registre archéologique paraissent très pertinents, et sont excellemment documentés, les opinions concernant la sphère sociologique et économique sont déroutantes, tant elles cherchent à calquer une culture de "l'intérêt personnel" très moderne - et qui s'est progressivement constituée depuis l'invention de la monnaie - sur des civilisations et des sociétés dont tout nous laisse penser qu'elles ne possédaient pas ce type de concepts.

• Le Vénézuela est au bord du défaut de paiement, malgré l'importance de son économique pétrolière et ses immenses réserves, les plus importantes du monde. L'émergence d'un discours diabolisateur de ce pays depuis qu'on connaît l'importance de ces réserves interpelle. J'ai posé là mes questionnements : « Qui veut noyer son chien l'accuse de la rage ».

• Les conseils de Condorcet à sa fille. Condamné à mort par la Terreur, Condorcet craint pour sa vie et fait un testament à sa fille, alors petite enfant. On voit dans celui-ci tout le respect que Condorcet porte à ses semblables et ses conseils poussent sa fille à la fois à chercher à être autonome dans la vie et à considérer ses semblables avec le plus grand respect et à être généreuse mais sans oublier « que celui qui reçoit est par la nature l'égal de celui qui donne ». Une pensée d'une étonnante modernité.

• Oxfam France publie une étude qui montre clairement que la politique fiscale mise en place en France par le nouveau gouvernement est dans la droite ligne des politiques néolibérales qui ont organisé partout dans le monde, depuis le Chili de Pinochet, des transferts de richesses massifs de l'ensemble de la population vers les 1% les plus riches. Décryptage dans ce billet « Les pauvres paieront ».

• Un choix de société - J'étais à la manif du 12 septembre contre la loi Travail XXL, comme elle a été appelée, et qui a été mise en place par ordonnances. En marchant (dans la manif) j'ai écrit ce billet où je m'interroge sur le choix de société qu'on nous met en place (une société de dettes qui soumet) et sur la revendication populatire (une société d'obligations réciproques, qui libèrent). Ce n'est pas une nuance, ce sont des sociétés radicalement opposées. « L'obligation n'est pas évaluable, elle implique juste une contrepartie si possible alors que la dette peut être estimée au centime près et doit être payée ». J'y développe cette idée.

• Et pour terminer, retour à la femme avec « La petite graine de papa ». Une expression qui, implicitement, réduit la femme à un pot de fleurs. Notre vocabulaire est plein d'expressions qui remettent ainsi la femme à sa place, la seconde. Mais la femme est-elle vraiment un pot dans lequel on plante la graine du papa, un objet passif et interchangeable qui va héberger le petit objet, unique et actif, transférant ainsi l'origine de la vie à l'homme ? Quelques explications qui démontent des préjugés et des évidences.